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Comment en suis-arrivé là ? Ah ! C'est la terrible histoire que certains d'entre nous doivent connaître, chacun avec ses variantes, toutefois.

Pour moi, ce fut d'une banalité tragique. Ca a commencé par un copain qui dit un jour, comme ça, sans penser à mal : "t'en veux ? C'est de la bonne et elle est pas chère. Je l'ai eue directement chez le fournisseur". Je n'étais pas armé pour refuser, je me laissais faire, je me disais "oh, ça peut pas faire de mal, après tout". Dès lors, ce fut la spirale infernale. J'achetais ma première montre "pas raisonnable" (© Alain pour La Passion des Montres 2000), une Breitling Chronographe mécanique et je mettais alors le poignet dans un engrenage dont je ne soupçonnais pas la force.
Ca n'avait pas encore vraiment de nom, tout juste était-ce identifiable à quelques symptômes : je regardais les poignets des acteurs dans les films, je remarquais que le type d'en face, dans le métro avait une montre de luxe, je croyais voir des montres sur les abris bus quand GDF montrait simplement un Pipe-line en gros plan… Mais autour de moi, personne ne comprenais. Je me cachais presque. Celui qui avait réveillé ce mal en moi n'en était pas du tout atteint, il avait dealé le produit pour de bas motifs économiques. Il ne m'était d'aucun secours. Devant cet océan d'incompréhension, je cherchais désespérément des gens à qui parler, des gens à même de comprendre ce mal qui me rongeait. Heureusement, en cette fin de siècle, la technologie nous avait fourni un outil puissant à l'usage de tous les drogués : Internet. Ce qu'il y a de fantastique avec cet outil, c'est que quel que soit le mal qui nous ronge ou la question que l'on se pose, il y a quelque part quelqu'un qui a des éléments, des réponses ou a défaut qui se pose la même question. Et à plusieurs, on est plus fort.
Je me voyais donc rapidement en train de rechercher sur Internet, de taper fébrilement "watch", "Breitling", "mechanical" "automatic" sur yahoo, sur google, sur altavista et tous les bon dealers d'information qu'on connaît. J'activais le réseau parce que je sentais "ça" monter en moi.

Alors, magie du grand réseau des réseaux, je trouvais ce que je pensais alors être le vrai nirvana, l'endroit où enfin, les gens me comprenaient, ils avaient tous ce mal et je commençais alors à fréquenter le TimeZone, le TZ pour les initiés. Ah ! le TZ, sa police partiale, ses ruelles sombres, ses quartier chauds, ses combats de rue, ses caïds, ses trafiquants, ses évangélistes. Mais grâce à cela je mettais enfin un nom sur cet indescriptible mal : j'étais drogué, " watchoolic ". Avec mes nouveaux "amis", ceux du village, j'apprenais les premiers trucs du camé averti : Ne pas se faire refourguer du Festina, du Guess ou du CK pour de la bonne, se méfier du Tag Heuer qui a été le grand Heuer, avant de se compromettre avec TAG et d'autres choses encore, toutes, ou presque, en contradiction avec les lieux communs que je connaissais jusqu'ici.

Je découvrais alors que ma came préférée, que je croyais la meilleure, a beaucoup de concurrentes sérieuses ou encore que la grande Rolex a ses détracteurs dans le milieu. Pourtant la Rolex, c'est la came de Wall Street, c'est celle du show biz… Mais c'est peut être ça aussi qui fait qu'elle est tant décriée. C'est, comme souvent, une affaire de raisins trop verts. On peut s'acheter une Rolex mais pas la vie qui va avec. Alors on critique et on se trouve des arguments pour dire que c'est de la came pour les non connaisseurs. Moi, j'aime bien les Rolex mais je n'en ai pas. Je trouve juste qu'elles sont, pour l'instant, artificiellement trop cher et j'attends que la vague soit passée. Je me rappelle trop bien la folie qui s'est emparée du marché des voitures de sport dans les années 90. Beaucoup y ont laissé des plumes et aujourd'hui elles valent enfin leur vrai prix : tout vient à point à qui sait attendre.
Je persistais donc sur ma lancée et je m'achetais une autre Breitling, une montre de plongée, la Colt SuperOcean Professional. Une belle bête. Je commençais à connaître les noms des familles qui se trouvent derrière les plus petites dopes. Les LVMH, Swatch qui sont dealées aussi en direct, Richemont… Je découvrais des noms que je n'avais jamais entendu, les petits producteurs indépendants qui fournissent "la haute", comme ce fameux Patek, Philippe ("y doit avoir une sacré bagnole et un gros pitbull cuila !"), le Breguet ou encore le Blancpain, le Lange... C'était une véritable initiation à la vraie vie des accros à la mécanique horlogère durant laquelle j'allais de surprises en déceptions, de bien être en souffrances. Je découvrais avec incrédulité que certaines montres "de série" pouvaient atteindre des prix hallucinants. Alors que je pensais que mettre 50 kF dans une tocante tenait plus de la folie que de la décence, j'apprenais que certaines pouvaient atteindre plusieurs millions de francs. Mais tout ça était et est toujours trop cher pour moi. Je ne suis quand même pas prêt à me nourrir de pâtes tous les jours pour me procurer une montre. Je suis un camé "pour le plaisir", pas pour oublier ce que je suis.

J'apprenais, je prenais des coups et j'étais de plus en plus accro. Quand je découvrais toutes ces nouvelles variétés de drogues, il me les fallait toutes. Il m'en fallait de plus en plus. Parfois, en manque, j'allais même sur des grands marchés, le Bazar, la Baie. La racaille y est très présente. Beaucoup de matériel coupé, rarement de la pure. Des ersatz, des copies… c'est à chaque fois le grand frisson. Comme je venais du village, le TZ, je m'en sortais peut être mieux que d'autres. Je détectais les arnaques avec plus de facilité. Certains vendent même des produits fort chers sur le grand Bazar. Le frisson n'en est que plus grand. Mais cela n'était pas pour moi. Parfois, sur les grands marchés, je trouvais de quoi me calmer, une petite mécanique, pas chère, je l'achetais : Une Seiko Diver's 200, une Poljot, une Longines automatique… Je me sentais mieux un temps… mais je revenais, il m'en fallait encore.

Dans cet jungle, je me fis quelques amis quand même. Je rencontrais des gens vrais qui étaient un peu plus anciens, qui me donnaient des trucs. Même des petits dealers qui étaient plus honnêtes que les autres, certains même étaient aussi des puristes, des passionnés qui dealaient de la bonne pour assurer leur propre consommation. Schéma somme toutes très classique.

Dans ce milieu si particulier, l'effet de minorité joue son rôle à la perfection, il resserre les liens entre gens qui se sentent semblables. On s'accroche à ce qui nous reste de commun et on le voit alors comme une excellente raison de s'unir face au reste du Monde. On se sent mieux dans sont ghettos du TZ, le coin du TZ où on trouve des autres qui gravitent autour de notre drogue préférée, Breitling, Omega ou encore Rolex. Certaines communautés se sont mises à l'écart, dans un autre village, le Watchuseek par exemple avec sa bande d'accro à la Zenith.

Puis, un jour, dans cette ville sombre et malfamée de l'espace virtuel, je découvrais un autre de ces mecs biens, un frenchy, un compatriote qui connaissait une ville virtuelle où les camés parlent français. J'y allais faire un tour, j'étais curieux, j'aime toujours retrouver un compatriote dans les coins les plus reculés de la planète… toujours cette propension à resserrer les liens mais aussi une vision plus facile à partager à cause de la proximité culturelle.
Je cliquais donc et je me retrouvais sur "La Passion des Montres" et son forum. Un ramassis de camés sympas, qui parlent ma langue. Pas de coups bas, juste une ambiance "peace" et qui fleure bon les essences raffinées. Un peu comme une plage à l'écart, loin des bas-fonds de TZ, où l'on joue de la guitare en écoutant le tic-tac des vagues. Le repos, après la tourmente. Parfois, malgré tout, le débat s'envenime lorsque certains viennent faire un tour et provoquent la bande, par jeu ou pour se faire leur place. Mais généralement, tout rentre rapidement dans l'ordre, les crises se désamorcent d'elles-mêmes et la consommation cordiale reprend ses droits. Tout n'est alors que luxe, calme et volupté.

Depuis que j'ai découvert la Passion des Montres, je retourne quand même de temps en temps voir ce qui se passe dans mes anciens spots, histoire de garder un œil sur l'actualité des ghettos et échanger quelques points de vue avec les amitiés liées alors. Mais je n'y vais plus dans le même esprit. J'y vais aussi pour "voir" des potes avec qui j'ai depuis parlé d'autres choses que de montres et c'est là la vraie richesse de toute passion. Elle permet de rencontrer des gens sur un sujet commun puis de s'en écarter et découvrir d'autres milieux, d'autres gens. Le milieu des collectionneurs de montre brasse toutes les catégories sociales, tous les horizons culturels. Ce n'est pas, contrairement aux apparences, une passion réservée aux gens très riches. On peut se constituer une belle collection de montres intéressantes pour le prix d'une grosse télévision. C'est alors une affaire de priorités, de choix. Certes, dans une telle collection, les Breguet et autres Patek sont rarement présentes (quoi que ça dépende de la taille de la télévision), mais la montre ultime est parfois une petite montre que l'on aime porter et qui nous plait énormément, on ne sait pas pourquoi. Ce genre de collection doit rester une démarche personnelle car si l'on se met à acheter des montres pour épater la galerie, on se ruine rapidement sans réellement s'être fait plaisir ni avoir atteint son but. Il y a toujours plus gros, plus compliqué, plus rare et plus cher. Par contre, plus beau, parfois ça n'existe pas à nos propres yeux.

J'ai également un peu changé mes habitudes de consommation. J'achète maintenant des montres qui ont un peu plus de réalité horlogère et que j'aime pour leur aspect telles que la Zenith El-Primero Fly-Back avec sa roue à colonne, la Bulova Accutron et son diapason etc. Mais je continue à m'acheter aussi des montres passion, moins raffinées sur le plan horloger, sur des critères uniquement esthétiques, comme mon Omega Seamaster Professional. Car avant tout, ce que j'achète quand je mets tant d'argent dans un si petit objet de même pas cent grammes qui fait tic-tac, c'est un bijou, et un bijou, c'est fait pour être beau.

Mais mon parcours n'est pas terminé et je pense muter encore et encore pour, peut-être, me retourner dans quelques années et me dire : tout cet argent, tout ce temps et tous ces choix pour des montres qui donnent l'heure comme elles le peuvent et qui coûtent une fortune à entretenir ! Est-ce bien raisonnable ? Non ! Mais après tout, pourquoi vit-on si ce n'est pour se faire plaisir ? Et le plaisir, pour certains, c'est de regarder son poignet et de se dire que c'est joli, quand même, une montre…

Bruno - Mai 2001

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